4 Mai 2017
J’étais seul dans ma voiture, en route pour une demi journée d’équipement dans un spot que je fréquente depuis 30 ans, la radio sur France Info, quand la nouvelle est tombée.
Le coup me mit KO debout, un uppercut au foie qui me coupa le souffle, sidéré.
Ueli Steck est mort…
Lui, avec qui j’avais échangé des SMS il n’y a une dizaine de jours, pour caler un rendez-vous sur Chamonix fin mai.
Mort !?
Je passais le reste de la journée seul, dans ce coin si beau dominé par la paroi de la Pelle. Pendu sur mes cordes je cherchais à déchiffrer les partitions proposées par le rocher pour les traduire en des chorégraphies pour grimpeurs.
Sans cesse dès que mon occupation me laissait l’esprit libre, en regardant le paysage inondé de lumière douce je repensais à Ueli.
Pourquoi sa mort en montagne que lui-même savait et disait possible voir probable, me faisait si mal ?
D’autres décès en montagne avant le sien m’avait touché : Noel Clergé, Serge Rosso, Patrice Dheu, Jean-Christophe Lafaille, Patrick Behrault, Séphane Brosse, Masimo Farina, Sue Nott, Luc Avogadro, Remy Léclusse…
Je connaissais Ueli depuis une vingtaine d’années. Je ai commencé à le côtoyer lorsque il était sponsorisé par Grivel et moi en charge du développement produit pour cette même marque. Je me souviens… Lui avec Erhard Loretan, moi avec Dominique Marshal, nous avions partagé des cascades de glace en val d’Aoste.
C’était sympa, décontracté, facile.
Lorsque vers 2002/3, je crois, Christophe Moulin me demanda qui pourrait venir projeter un film et partager son expérience lors des rencontres d’escalades sur glace de Bessans ; je lui proposais Ueli alors quasi inconnu. Il passa un film sur un solo d’une grande voie rocheuse et sur son solo de la cascade Crack Baby. Son professionnalisme à la fois dans la construction de sa soirée ainsi que dans sa méthodologie de préparation pour aborder ce type d’ascension avait convaincu la salle que cet homme là n’entreprenait rien à la légère et que le solo ne s’improvise pas.
Je côtoyais donc Ueli de façon ponctuelle mais régulière depuis 20 ans. J’avais les mêmes points de vue sur le matériel de montagne, raison première de nos échanges mais aussi sur la pratique de l’alpinisme et plus généralement sur la vie.
Il faisait partie de ces personnes rares avec qui je partage un fond si fort que la forme importe peu. Pas de nécessité de se voir régulièrement pour avoir une histoire commune, pas d’obligation de mettre des convenances pour parler de sujets profonds…
Il se posait des questions, sur sa vie, sa pratique de l’alpinisme, nous en parlions avec simplicité. Ne se cachant pas déjà lors de l’époque de ses records de vitesse à l’Eiger que cette pratique ne pouvait que ce terminer mal, il cherchait d’autres terrains où son talent et sa passion pouvaient s’exprimer.
Malgré son planning surchargé par ses entraînements et ses obligations, il restait ouvert et accessible ; prenant le temps d’envoyer à ma demande, une affiche dédicacée à un jeune admirateur, ami de mon fils.
Sympa, décontracté, facile….et généreux.
Ainsi sa mort me touche car il fait partie de moi et avec son départ, je perds une partie de moi.
Bien que sachant qu’Ueli jouait avec la limite je ne pouvais pas le croire faillible. Comme pour Patrick Berhault, c’étaient de telles machines à grimper que les imaginer faire une faute, c’est douter de ses propres capacités en montagne. Un peu comme si à chaque fois que je prends le volant je devais conduire une voiture en contre sens sur l’autoroute avec 3 g d’alcool dans le sang.
Alors ?
Alors la seule explication que je peux entendre car j’ai besoin d’une raison qui donne un sens à cette perte ; est une chute de pierre. Déjà en 2007, il s’était miraculeusement sortie indemne d’une chute de 300m à l’Annapurna provoquée par une chute de pierre.
Malheureusement je crois à une certaine obstination du hasard, comme tant à le prouver plusieurs histoires d’alpinistes.
Que dix ans après, cette chute de pierre qui le cherchait, l’ai rencontré, me semble dans le domaine du possible.
Que reste-t-il ?
Ueli a incontestablement placé son degré de compétence en alpinisme à un niveau jamais atteint. Jamais un alpiniste ne fut aussi polyvalent et aussi performant en rocher, glace, escalade mixte, haute altitude, solo, escalade de vitesse…..
Il est un exemple et un absolu pour tous les alpinistes actuels et futurs, quasi inaccessible.
Mais une de ses actions les plus emblématiques alliant engagement physique, performance, dévouement, générosité est lorsqu’avec Simon Anthatten, il se porte au secours d’Inaki Ochoa de Olza et de son compagnon à l’Annapurna en 2008.
Pour moi et au de là de ses hauts faits, c’est l’homme que j’ai aimé, sympa, décontracté, facile….et généreux.
Ciao l’ami.