4 Juin 2017
Je n’avais pas pu m’empêcher d’intervenir dans une discussion sur Camp To Camp au sujet de la voie des Parisiens aux 3 Becs.
Blasphème! L’un des protagonistes parlait de rocher pourri et même dangereux.
J’ai gravi environ 50 fois cette voie et jamais je n’ai vu tomber une pierre ou en ai arraché une. Certes la L4 possède des prises sur lesquelles je tire avec discernement depuis 30ans… sans en faire bouger une seule.
Je ne dis pas que c’est le rocher monolithique du Verdon et je sais pertinemment pour avoir ouvert une dizaine de voies sur ce massif que les silex cassent et que les pierres posées sur les vires sont nombreuses et même que l’effondrement du début des années 2000 avec ses quelques dizaines de mètres cube avait arraché une bonne part de la vire d’attaque. C'est les joies et les aléas du rocher des 3 Becs.
Mais je ne me suis jamais senti en danger lors de mes nombreuses aventures sur ce massif.
Il reste qu’une voie aux 3 Becs est de l’alpinisme rocheux avec ses doutes sur le point d’attaque qui n’est marqué ni par une inscription ni par des traces de passages… quand à compter sur une cordée à suivre... la chance est faible ; avec ses doutes sur le cheminement qui est rarement constellé de spits directionnels, avec ses doutes sur certaines sections de rocher à vouvoyer quand d’autres peuvent être tutoyés sans précaution, avec ses doutes sur l’équipement qui peut être lointain et à compléter…
L’escalade aux 3 Becs reste une entreprise austère demandant de la détermination et de l’expérience.
Tout ce que j’aime !
Lors de mon intervention sur cette discussion sur C2C, j’ai fait la connaissance de Fabrice.
Fabrice a vécu une expérience forte, illustrant pleinement la problématique 3 Becs.
Parti dans la L1 des Parisiens, il laisse échapper le piton qui indique le virage à gauche et continu droit. Se retrouvant hors voie sur une section clairement pourrie, il partit avec une plaque de rocher conséquente qui attendait un généreux grimpeur imprudent pour rejoindre le plancher des vaches.
Le vol fut important, un bon vingt mètres, heureusement les conséquences furent limitées : un pouce retourné et des points de sutures pour en garder en souvenir la signature sur soi.
Malheureusement Fabrice gardait aussi dans sa tête quelques chose, un goût d’inachevé amer et tendu, un blocage empêchant une projection future, mais l’envie était là.
Découvrant son aventure, sa mésaventure, je ne pouvais que lui proposer de chasser son dragon interne, d’éteindre les flammes sortant de sa gueule puante par un retour serein sur le terrain et de s’élever dans la paix d’un beau jour de mai pour rejoindre la prairie sommitale dans un élan apaisé.
La marche d’approche fut menée tambour battant malgré la chaleur hors normes de ce jour de mai. Une cordée fut rattrapée sur la vire, nez en l’air à la recherche de l’attaque de la voie des Parisiens. Ils me questionnèrent sur le départ de leur objectif. Taquin, je répondis en les doublant « suivez- moi ! » ; leurs évitant « Suivez le guide !». La probabilité de rencontrer un chien et une jolie femme en ces lieux est si faible que cette injection à la Prévert me parut vaine.
A l’attaque discutant à bâtons rompus, je leurs parlais du fond de mes poches que je connaissais comme chaque prise de cette voie… à moins que ce ne soit l’inverse. Alors la cordée revendiqua un lien avec la voie : « nous sommes parisiens ! ». Devant ce lien fort et étroit, que je ne pouvais revendiquer, je leur proposais la primeur de l’ascension. Ils me répondirent qu’un parisien ne pouvais connaitre tout Paris, particulièrement cette partie ci. Et que la parfaite connaissance de mes poches surtout du fond leurs paraissaient un garant supérieur.
J’avalais la L1 en moins de deux. Fabrice dépassa son point de chute et tourna le dos au dragon qui pris un retour de flamme.
Je courus dans la L2 comme pas un. En deux temps trois mouvements se fut la L3, puis en trois temps deux mouvements la L4 puis la L5 et la suite. En un peu plus de quatre heures nous voilà au sommet. Fabrice suivi sans faillir ni même douter.
C’est avec le sentiment de la boucle boucler, d’une page tournée, d’horizons nouveaux que nous avons pris le chemin du retour par le pas de la Picourère.
Merci Fabrice de m’avoir permis de faire la nique à un dragon.