9 Mai 2016
Ce texte me fut confié dans le cadre du 50 ème anniversaire de la voie des Parisiens aux 3 Becs. La saison étant aux parcours des grandes voies classiques du Diois, je ne peux m’empêcher de le partager
Escalade anecdotique
Ouverture de la voie du Levant dans le cirque d’Archiane
En ce temps-là, il y a déjà cinquante ans, le but de l’exercice était encore d’atteindre le sommet des montagnes. Et l’escalade sportive que nous pratiquions dans les Calanques et à Fontainebleau n’était qu’un des moyens permettant d’aller vers l’alpinisme. Mais, au début des années 1960, de nouvelles voies d’ascension dans le Vercors et la Chartreuse sont venues troubler nos certitudes, avec des lignes débouchant, non pas sur une cime, mais sur un plateau herbeux, qu’un troupeau de moutons était occupé à tondre...
Ces nouvelles voies d’ascension, conduisant nulle part, marquaient le début une nouvelle tendance allant vers plus d’escalade et moins d’alpinisme... Georges Livanos qui a découvert maintes et maintes parois calcaires en France, l’expliquera plus tard à sa façon. « Hé ! Grec ! Pourquoi tu n’as pas regardé vers le Verdon ? ». « Parce qu’à l’époque, on ne regardait vers le haut, pas en bas... ».
De cette période, nous avons gardé en mémoire une péripétie. Au début des années soixante, en venant visiter le Pilier Sud-est du Jardin du Roy, nous avions repéré une belle possibilité dans la face est. Nous n’étions pas des ouvreurs acharnés, plutôt des dilettantes avertis. Mais là, il n’y avait qu’a cueillir le fruit mûr.
Dans le Diois, les premiers jours de novembre sont souvent favorables. Avec Jérôme Brunet, nous formions une cordée homogène et venions d’exercer nos talents dans les plus difficiles escalades des Dolomites – les plus difficiles certes, mais pas d’affolement... à bien des années lumières du haut de gamme d’aujourd’hui. À peu de distance, suivait la cordée de nos trois amis François Hess, Bernard Mevel et Alain Pelgrand.
Nos amis devaient récupérer le matériel d’assurage et transporter les vivres pour le bivouac que nous devions partager. En dessous, ils devaient tenir compte du bombardement intensif des défricheurs. Et pestaient à cause de l’équipement très aéré que nous leur proposions. Un écart entre les deux cordées s’est créé lorsque la nuit menace. Il faut se résoudre à des bivouacs séparés.
Nos camarades s’installent au niveau de la grande baume du Midi, ils ont la nourriture et l’eau pour passer la nuit. Devant, nous devrons nous contenter de deux petites marches. Jérôme est assis sur celle du bas, je me pose juste au dessus. Impossible d’envoyer un brin de corde pour faire monter la soupe et la nuit est maintenant là. Nos amis - à portée de voix - n’ont de cesse de vanter leur confortable vire et de nous décrire l’excellent menu qui les attend.
Pour nous plus haut, il faut manger le peu qui nous reste et rationner l’eau pour aller jusqu’au prochain matin. Dans mon sac, j’ai seulement une boite de tablettes de Dextrosport, à base de sucre de raisin, les barres énergétiques de l’époque. J’ouvre une boite, partage son contenu. Les barres blanches sont vite absorbées par les deux affamés. Eh ! Cela a une drôle de consistance ! C’est comme du plâtre, ce produit doit être périmé…
Soudain, l’information m’arrive au cerveau... « Jérôme, on a bouffé le Meta, vite recrache... Je me suis trompé de boite ». Mais trop tard, nous avons avalé les tablettes. Dans mon fond de sac, j’avais toujours une boite d’alcool solidifié, des tablettes blanches et dans la nuit... Aussitôt, on regarde avec un briquet les indications terribles écrites sur la boite : « Danger, ne pas absorber...Tenir hors de portée des enfants... En cas d’absorption accidentelle, contacter d’urgence le Centre antipoison. Etc... Etc... »
La frontale est dans le sac des collègues plus bas, alors nous prenons tout de même grand soin de tenir le briquet un peu éloigné. Notre camarade Mevel est appelé en consultation, il est jeune médecin. Rigolade générale à l’échelon inférieur et divers noms d’oiseaux sont échangés. Enfin notre docteur livre son diagnostic et son ordonnance hurlée à distance : « Buvez l’eau qui vous reste et faites-vous vomir... ».
Ainsi fut fait, mais la nuit malgré la fatigue, se passera avec une certaine anxiété. Au matin, aucune des graves brûlures d’estomac promises n’est ressentie... Compte tenu des mises en garde particulièrement alarmiste de la notice, pas question d’attaquer le ressaut supérieur, descente par l’échappatoire. Il faut vite aller s’informer sur notre cas.
Le plus amusant sera la relation téléphonique avec le Centre antipoison :
- Age des accidentés ?
- Vingt cinq ans.
- Comment cela est possible !! En général ce type d’accident concerne des enfants en bas âge...
- Circonstance de l’accident ?
- Heu ! C’est un peu spécial, je vais vous expliquer....
Et nous pûmes revenir une semaine plus tard pour terminer cette voie du Levant, qui deviendra une belle classique.
Claude Deck